Quand je l’ai vu arriver dans le café, il avait un air différent. Ce sourire, qu’il tentait pudiquement de retenir en vain, transformait son visage, la pliure aux extrémités de ses deux yeux brillants, presque incandescents. C’était comme une subtile trahison de ce bonheur nouveau qui le transcendait. Et alors que nous nous retrouvions pour notre rendez-vous hebdomadaire, son regard s’affolait. Comme une mouche qu’on n’arrive pas à attraper du regard, il zigzaguait dans l’air sans savoir où se poser. C’était un jour ordinaire d’une période extraordinaire.
Curieuse et heureuse de son bonheur nouveau, je le questionnais aussitôt ; ce qui ne l’aidait pas à garder cette mesure qui garantit habituellement son équilibre. Mais je savais, sans savoir… Il est pudique, même pour ces grandes choses qu’on a envie de crier au monde, et distillait l’information au compte-goutte. Il s’efforçait de garder le contrôle de son chamboulement intérieur mais celui-ci transpirait malgré lui par chacun de ses pores. En remettant inlassablement sa mèche grise qui habille le côté de son visage rond et joufflu, il se livrait petit-à-petit. « Son français s’est bien amélioré, me disais-je, et c’est un sujet passionnant et nouveau pour notre cours de la semaine. »
Il n’a pas assisté à la naissance, celle de son tout petit. Pas directement. Il est resté dans une pièce à côté, vivant intérieurement et presque tout aussi intensément cette venue au monde. Revivait-il la sienne, qui a failli ne pas arriver, oublié au fond du ventre de sa mère alors qu’elle n’attendait qu’un seul enfant ? Mais aujourd’hui, je le sens profondément vivant. C’est assurément une seconde naissance. Celle d’un père.
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