Yunnan : les théiers millénaires de Jing Mai Shan

Jing Mai Shan, Yunnan, China

« Jing Mai Shan » – la montagne de Jing Mai – est sans doute l’endroit qui nous a fait aimer la Chine, ou plutôt devrait-on dire le Yunnan, mais aussi notre voyage, les Chinois et tout un tas d’autres choses.

Jing Mai Shan se situe dans le district de Pu’er (sud du Yunnan), célèbre dans nos contrées pour son thé fermenté du même nom. Difficile pour nous de ne pas nous y arrêter pour aller flâner dans les jardins de thé, d’autant que sur la montagne du Jing Mai se trouvent les plus anciens théiers de Chine.

Les montagnes de Jing Mai

Malheureusement et heureusement, cette région est absente des guides et très peu d’information est disponible sur Internet pour les occidentaux. Elle se développe surtout pour le tourisme chinois, encore assez tenable pour le moment, du moins jusqu’à ce que l’aéroport prévu soit construit…

Lost in translation

Nous venons de Jinghong dans le Xishuanbanna (district voisin au sud). Ainsi après une marche jusqu’à la gare sous une pluie torrentielle habillés en sacs poubelle, un essorage de notre unique paire de pompes sur le parking des bus, quatre heures de minibus local, une nuit à Lancang puis quelques heures passées à la gare à essayer de prendre un bus allant à un endroit dont on ne sait pas grand chose, nous nous pointons finalement à 10 h 40 avec un ticket de bus pour 景迈 (Jing Mai).

Évidemment si tout le monde parlait anglais et si les panneaux étaient traduits, ça aurait été plus simple, mais pfff ! Tellement trop facile…

[Flashback]

À la gare de Lancang, les gens nous regardent de la tête aux pieds, un peu éberlués : curieux mais discrets. Nous sommes l’attraction. Nous expérimentons l’étrange sensation d’être des étrangers, et de surcroît physiquement différents. Intéressant.

Nous devons aller à « Jing Mai », sans trop savoir si c’est un village en plus d’être une montagne. On joue une à une nos cartes, on mobilise tous nos neurones. L’appli de traduction Pleco est mise à rude épreuve. On traduit, on montre, on sourit. On s’essaie aussi à la prononciation, variant les tons dans l’espoir de trouver le bon (il y en a quatre en chinois en plus du ton de base…). Puis soudain, on nous tend un téléphone : la sœur de la guichetière a étudié l’anglais à l’école… il y a 25 ans. Et le pire c’est que c’est un véritable espoir ! Bref, de minutes en minutes on fait preuve de nouvelles ressources, on ne lâche rien (Tu veux les voir tes théiers ? OUIIII !). Alors on recoupe les infos en posant deux fois les questions, et ce à plusieurs personnes. Ah-ha ! Costaude la stratégie. On écrit la destination, la pointe sur une carte mais à chaque même question, autant de réponses différentes. Alors on simplifie : « On va là ? » « Oui ! » « Donc on ne va pas là ? » « Oui ! »… « Ok, Xièxie (merci)! » Viens, on va voir la guichetière d’à côté. »

Une fois dans le bus pour Jing Mai, il faut bien l’avouer, on n’est toujours pas sûrs sûrs d’aller au bon endroit. On espère seulement qu’il y aura des hôtels, où que l’on aille…

Terre Dai et Balang

La montagne de Jing Mai est peuplée par deux ethnies, les Dai et les Balang. La partie nord est occupée par les Dai et le village principal est… Jing Mai (Ah tiens, dis !). Dans la partie sud, dont le village principal est Mangjing, vivent donc les Balang. Ce sont les premiers à s’être installés sur la montagne il y a 1300 ans et à avoir cultivé le thé.

Jardin de jeunes théiers

C’est donc sur ces hauteurs que poussent les plus anciens théiers de Chine – dont certains ont plus de mille ans ! –, dans le jardin de thé Da Ping Zhang (大平掌). Celui-ci est situé sur le plateau de la montagne principale, à environ 1600 m d’altitude. Les autres jardins avec des arbres plus récents poussent sur des pentes moyennes entre 1100 et 1700 m d’altitude.

Dégustation de thé

D’un malentendu à une incompréhension, le chauffeur nous dépose, tel un fardeau dont il se déleste poliment, sur la route de Jing Mai devant un bel hôtel en bois de construction traditionnelle. Des jeunes filles en costume coloré s’empressent de nous accueillir. Problème : le prix de la chambre ne rentre pas vraiment dans notre budget. Elles insistent pour que nous prenions un thé et nous nous reposions avant de nous emmener dans un hôtel plus abordable un peu loin. Dingue…

Cérémonie du thé

Personne ne parle vraiment anglais mais tout le monde s’y met, même un des rares clients chinois qui baragouine quelques mots. La matinée passe et l’ambiance est vraiment très sympathique. Ces gens sont adorables.

Il est 12 h 30, nous restons manger dans le petit restaurant de l’hôtel : fried rice aux œufs et aux feuilles de thé accompagné d’une soupe de légumes verts. Puis, de nouveau on nous offre le thé. Nous goûtons thé rouge (fermenté), thé vert (cru), thé blanc, oolong (fermenté à 10 %) et thé noir, mais il faut savoir que seuls les deux premiers sont des Pu’er.

Gōngfū chá (工夫茶) ou préparation du thé
Le dégustation du thé découle d’une préparation du thé très méthodique qui s’effectue à l’aide d’un certain nombre d’objets manipulés avec des gestes précis et harmonieux. Gōngfū signifie «  l’art d’agir avec application » et chá « thé ».
Le plateau (ou table) à thé sur lequel on sert le thé est l’objet que l’on remarque en premier. C’est une pièce importante, et semble-t-il, un attribut de richesse et de raffinement. Il est plus ou moins élaboré. Ceux que l’on a vus étaient taillés dans le bois massif dont la préciosité, la grandeur et la manière dont ils étaient sculptés variaient. Certains sont de véritables œuvres d’art ! Un système d’écoulement permet d’évacuer la première infusion qui sert à laver le thé et les ustensiles (et dire que chez nous, on boit l’eau de lavage !).
Sur ce plateau sont disposés un bol à couvercle (gaiwan) qui sert à laver et infuser le thé, une cruche (ou Cháhǎi) avec un filtre dans laquelle on verse le thé tout juste infusé pour qu’il soit ensuite servi, et des petites tasses, souvent transparentes pour la dégustation. On trouve aussi une bouilloire, une pince pour saisir les tasses, un linge pour essuyer les éléments pendant le service, et de petites figurines pour la décoration que l’on arrose parfois de thé comme geste de révérence.
Le gōngfū chá prône l’élégance, le respect et la lenteur. Ainsi, par exemple, on casse le poignet en servant, on tient le pot fermement à l’aide de deux doigts seulement, on vide les tasses après rinçage d’un geste net et précis, ou encore on détache légèrement le petit doigt pour déguster le thé… Tout un art.

Ustensils pour préparer le thé

 

On n’a qu’une idée en tête : aller voir ces théiers millénaires et visiter les villages qui les cultivent de générations en générations. Mais rien n’est vraiment prévu pour faciliter les visites de la région ou bien il fallait louer les services d’un chauffeur privé avant de quitter la civilisation. D’ailleurs, tout le monde semble étonné que l’on soit parvenus jusqu’ici.

Un tourisme grandissant

Le thé Pu’er est devenu populaire en Chine et le tourisme croît dans cette région. Le gouvernement a postulé auprès de l’UNESCO pour classer ce site – et c’est en cours d’évaluation. En attendant, peu d’infrastructures existent. Quelques grandes maisons qui produisent du thé proposent un hébergement et vendent leur production dans un magasin attenant. Il y a peu de visiteurs en ce moment et nous mesurons notre chance. Nous sommes perdus mais heureux !

Luo Yuan, l’une des jeunes filles de l’hôtel nous a pris sous son aile car elle parle quelques mots d’anglais. La communication est difficile mais c’est notre seul espoir d’en savoir un peu plus. Normalement il faut séjourner à l’hôtel pour avoir droit à une visite des plantations, et même si nous avons proposé de payer. Finalement, sa patronne lui donnera congé pour le restant de l’après-midi afin qu’elle nous accompagne. On est ravis.

Sanctuaire millénaire

Entrée dans le jardin des vieux théiersNous entrons dans le jardin des théiers anciens qui s’étend sur plus de 730 hectares. C’est un bien commun et chaque villageois a le droit d’en exploiter une parcelle. La partie visitable a été protégée il y a peu : il n’est désormais plus possible d’y accéder en voiture. De chaque côté de la route pavée qui le traverse se trouve une multitude de théiers de tailles variées qui partagent l’espace avec d’autres arbres parfois immenses, de la végétation basse et toute une faune d’insectes divers et variés, bref une formidable biodiversité, très importante pour la culture du thé. De petits abris en bois se tiennent çà et là pour les cueilleurs, en cas d’orage. « Ce théier doit avoir 1 000 ans, nous dit-elle. Et le plus vieux a 1 800 ans ». Gageons qu’il y en a d’autres encore plus vieux !

Balade dans le jardin des vieux théiers

Une chenille sur un théier

Abri pour les cueilleurs de thé

Vieux théier

La biodiversité dans les théiers

Pavés dans le jardin des vieux théiers

Grands arbres dans le jardin des vieux théiers

La cueillette a lieu deux fois par an, au printemps et en automne. On récolte les jeunes feuilles, vert-clair. En ce moment, les théiers ont surtout de grosses feuilles vert-foncé et quelques fruits qui renferment une graine. Au moment de la floraison, des fleurs blanches apparaissent. Certaines sont d’ailleurs récoltées pour être séchées et utilisées comme infusion.

Jeunes feuilles de thé

Théier avec des fruits

Le roi des théiers

Luo Yuan nous emmène voir « the King », le roi des théiers. C’est un des plus vieux. Il est grand et c’est chose rare – habituellement les théiers sont gardés petits afin de faciliter la récolte. Les villageois le vénèrent et viennent chaque année prier à son pied. « L’arbre vous bénit », nous dit-elle.

Devant le plus vieux des théiers

Puis nous croisons Anna et sa famille, venues aussi visiter le jardin. Une fois de plus, c’est la curiosité qui les attire vers nous. Ils sont de Kunming, capitale du Yunnan située plus au nord. Anna a passé un an d’étude à Vancouver. Elle est pimpante et bavarde. Et surtout… elle parle anglais. Nous échangeons avidement.

Rencontre avec Anna

Elle n’y connaissait rien sur « sa » région jusqu’à ce qu’au Canada sa famille d’accueil, amatrice de thé, lui pose mille questions. De retour pour les vacances, elle s’est décidée à en savoir un peu plus. Son oncle est un connaisseur, il a même goûté un thé vieux de 50 ans. Avant cela, la valeur du thé n’était pas connue et on ne gardait pas de stock.

Le pu’er est devenu populaire en Chine car les gens se sont intéressés à ses vertus. À présent, la région de Jing Mai vend sa production à travers toute la Chine et également à l’étranger. Ses thés sont réputés car non seulement certains de ses théiers sont millénaires mais il est d’excellente qualité. Il paraît même que son goût varie d’une colline à l’autre. Il peut donc se vendre cher. Il faut compter 600 yuans le kilo quand le thé est issu de « jeunes » arbres – 200 ans… – et jusqu’à 1000 yuans le kilo lorsqu’il provient des théiers les plus vieux. On fait aussi des assemblages de différents thés, de différentes années. C’est un peu comme le vin en somme.

Un dîner aux feuilles de thé

On vient nous chercher en fin de journée et l’on dînera à l’hôtel comme ce midi, avant qu’on ne nous ramène dans nos pénates bon marché. En attendant, quelques morceaux de jacquier et un bol de… thé. Puis, un superbe dîner : émincés de bœuf aux feuilles de thé, riz brun au thé, omelette aux feuilles de thé, soupe de chou et « vin local » – comprenez alcool de riz –, comme on n’en a encore jamais bu, fruité et savoureux, mais néanmoins… fort. En fin de soirée, les filles de l’hôtel nous font grâce d’une jolie danse. Nous retrouvons Anna et sa famille qui logent à l’hôtel : « On s’est dit quand même que vous étiez vraiment courageux d’être venus jusque-là », finit-elle par nous lancer.

Jacquier tout frais

Thé vert et bols en céramique

Diner aux feuilles de thé

Danse traditionnelle Dai

À la rencontre d’un producteur de thé

Le temps est changeant en cette période et le lendemain matin est pluvieux. Vers midi, le ciel se dégage et nous montons à pied au village de Jing Mai.

Village de Mang Geng

Vue sur le village de Mang Geng

Temple du village de Mang Geng

Dans un village - Jing Mai Shan

Balade dans les jardins de thé

Le village de Jing Mai

Le village de Jing Mai

Temple du village de Jing Mai

Le vieux temple du village de Jing Mai

Le vieux temple du village de Jing Mai

Toiture en travaux au village de Jing Mai

Vieil homme qui bricole

Certes ce n’est pas la saison des récoltes mais nous voulons tout de même savoir comment le thé est élaboré. Dans ce village, deux personnes travaillent encore le thé à la main, et c’est cela qui nous intéresse. Notre objectif : trouver Ai Zai Yi, un jeune producteur dont nous avons trouvé les références sur Internet, afin qu’il nous explique son travail. Pas d’adresse, seulement son nom mais le village n’est pas si grand après tout. Après un premier essai infructueux, une jeune femme nous mène jusqu’à chez lui.

Ai Zai Yi nous accueille tout sourire puis nous convie rapidement à le voir travailler le soir même à 19h. Il est 16h, ça nous laisse du temps mais finalement nous ne partirons pas de chez lui avant 22h30. Et il s’étonnera même que nous ne restions pas dormir chez lui… C’est ça le sens de l’hospitalité des Dai ! Nous avons enchaîné par une dégustation de thé rouge et de thé vert, puis une invitation à dîner, et une dégustation avant d’assister à la préparation de la récolte du jour : un Pu’er sheng cha, autrement dit un thé vert cru. Avant de terminer la soirée par un magnifique pu’er fermenté.

Dégustation de thé chez Ai Zai Yi

Erik en compagnie d’Ai Zai Yi et de son associé

Processus de transformation du thé vert

Ai Zai Yi allume le feu de bois sous le chaudron de brassage.

Ai Zai Yi allume le feu

Les chaudrons de brassage

Une fois le chaudron à bonne température, les feuilles de thé fraîchement ramassées y sont jetées et brassées à la main pendant une trentaine de minutes selon une technique particulière. Cela consiste à extraire l’eau des feuilles et empêcher tout processus de fermentation lors du séchage.

Des feuilles de thé fraiches

Brassage du thé vert

Pendant cette étape, il ne faut pas qu’elles cuisent ou brûlent sinon le thé aura un goût de grillé ou de brûlé. Tout au long du processus, Ai Zai Yi contrôle l’odeur et la couleur des feuilles et adapte son geste en fonction de l’avancée du processus. L’odeur qui se dégage lorsque les feuilles sont chauffées est divine !

Une fois le processus terminé, les feuilles sont disposées sur des paniers plats en bambou tressé où elles sont alternativement roulées-pressées d’un savant coup de main et aérées, et ce pendant une dizaine de minutes. Cela permet de les refroidir et de leur donner une forme particulière typique du travail à la main.

Technique du roulé-pressé

Les feuilles sont enfin étalées sur une natte de bambou tressé pour l’étape de séchage.

Séchage du thé

Plus d’infos sur le processus de transformation du thé vert.

Nuitée chez les Dai

Ai Zai Yi nous convie à venir dormir chez lui le lendemain soir. Nous prolongeons donc d’une journée cette étape pour jouir de son hospitalité et discuter un peu plus longuement avec lui. Il veut améliorer son anglais encore hésitant mais somme toute suffisant pour échanger et multiplie les occasions de parler quand il rencontre des étrangers. Il a même un carnet où il écrit les nouveaux mots qu’il apprend et regarde des émissions de langue sur Internet. Nous passons la soirée à parler anglais avec l’encouragement de quelques bières chinoises.

Notre hôte vit dans une grande maison située en haut du village avec sa femme et son jeune garçon, ainsi que ses deux parents. Il s’est lancé dans la culture du thé il y a quelques années avec son associé. Les affaires semblent bien marcher mais ils ne comptent pas leurs heures.

Petit déjeuner chez AI Zay Yi à Jing Mai

Le lendemain matin, Ai Zai Yi nous emmène à la gare de Hui Min et nous prend deux billets au comptoir avant même que nous ayons eu le temps de sortir nos gros sac du coffre. Ils nous les offrent. Ah bon, mais pourquoi ? « We are friends ! ».

 

+++
INFORMATION COMPLÉMENTAIRE

Comment s’y rendre :

Pour accéder à Jing Mai Shan, vous pouvez prendre un bus direct depuis la ville de Lancang ou depuis le proche village de Hui Min (sachant que le bus de Lancang passe par Hui Min). Il y a deux bus par jour qui vont au village de Jing Mai.

Où se loger :

Il y a plusieurs hôtels à Hui Min (village avant l’entrée vers Jing Mai Shan) où il est préférable d’appeler pour réserver selon la saison touristique. Sinon, il en existe aussi dans les différents villages de Jing Mai Shan. Le standing et les prix varient beaucoup. Notre hôtel, situé dans le village de Meng Bei, était sans grand charme mais propre (chambre double sans vue avec salle de bain + toilettes à la chinoise : 120 yuans – env. 16,8 euros), et les propriétaires ne parlent aucun mot d’anglais mais sont très sympathiques.

Petit précision à l’attention des non-initiés :

Même si cet endroit est de plus en plus fréquenté par les touristes chinois, il reste difficile d’accès quand on ne parle pas la langue et que l’on ne connaît pas l’endroit. Ça devient plus compliqué de se déplacer, d’autant plus qu’à part les deux bus par jour, le pouce et les gambettes, il n’y a pas d’autres solutions pour découvrir la montagne. Si nous y retournons un jour, nous penserons sérieusement à louer les services d’un chauffeur (NB : on ne peut pas conduire en Chine avec un permis international) pour pouvoir se déplacer plus facilement et visiter d’autres petits villages et points de vue parfois éloignés les uns des autres.

 

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23 commentaires

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